Pourquoi les groupements de distributeurs indépendants résistent mieux que prévu

Le journal de l’Economie : Le 6 Février 2020, par Olivier Meier, Professeur des Universités
On nous prédit la fin de la grande distribution. On nous dit que le modèle de l’hypermarché est dépassé. On prévoit la disparition du magasin physique (Martinez, 2018). Mais qu’en est-il réellement ? Si certains groupes intégrés tentent de relancer leur modèle économique, les mouvements indépendants eux continuent de progresser. Système U a pris la quatrième place des distributeurs français. Quant à E. Leclerc, il dépasse désormais, en France, l’ancien numéro deux mondial de la grande distribution, Carrefour, avec 21,3 % contre 20,1% parts de marché.
Analyse et décryptage
Prenons le cas de l’enseigne E. Leclerc. Ce distributeur présente une organisation collective et décentralisée, dirigée par des commerçants, propriétaires de leurs magasins, qui constituent les principaux acteurs solidaires de leur développement et pérennité. Autonomes sur le plan local au niveau de la gestion de leur magasin, les adhérents s’impliquent fortement au plan national et régional, dans la vie du Mouvement, au travers de commissions, groupes de projets et autres instances. Cette forme de distribution allie les avantages de l’indépendance et de la proximité, aspirations fortes et traditionnelles, et la mise en commun d’expériences et de moyens (mutualisation) sous une enseigne commune détenue par la famille E. Leclerc (M-E Leclerc ayant succédé à son père Edouard en 2006). Dans le mouvement E. Leclerc, la direction centrale n’exerce donc pas de contrôle excessif sur le management des magasins et des centrales régionales, afin de préserver la dynamique entrepreneuriale (initiatives locales), la responsabilisation et le positionnement de l’enseigne dans les territoires (proximité). Elle évite également via le groupement, une décentralisation excessive et l’existence d’intérêts divergents (risques d’opportunisme). Enfin contrairement à ses concurrents intégrés qui ont souvent eu recours à la croissance externe capitaliste (développement par fusions acquisitions) E. Leclerc a fait le choix du développement interne (création de magasins) et de la croissance conjointe (alliances et coopérations) en privilégiant la coopétition (accords stratégiques avec des concurrents).
Un modèle économique différent
1) Proposer les prix les plus bas
2) Affirmer une identité forte
3) Miser sur des projets réalistes et durables
Alors que les groupes intégrés ont fait très tôt le choix de l’internationalisation à marche forcée (rachat de nombreuses enseignes), les mouvements indépendants, en raison de leur structure juridique, ont du se résoudre, parfois malgré eux, à un développement plus limité (échec de E. Leclerc aux Etats-Unis), avec des stratégies par pays et une forte présence sur le marché national. Ce choix éventuellement contraint au départ s’est avéré avec le temps une stratégie gagnante, en concentrant les actifs sur des projets clés (stratégie des prix comparés, marque Repère, concept Drive, gestion des sacs plastiques, parfumerie et parapharmacie…) et sur une volonté de construire de relations durables avec les acteurs du territoire (partenariats avec les producteurs et PME, marques locales, services de proximité…).
4) Des choix en accord avec les valeurs du Mouvement
Les actions menées par l’enseigne E. Leclerc s’inscrivent dans une stratégie fondée sur le renforcement de son engagement sur des prix bas et la préservation des spécificités culturelles et juridiques de son organisation. A l’international, on peut à titre d’illustration, citer le cas du projet Coopernic (acronyme de COOPérative Européenne de Référencement et de Négoce des Indépendants Commerçants), centrale d’achats créée en 2006 à l’initiative des enseignes de la grande distribution E.Leclerc et Rewe group, en réaction aux mouvements de concentration dans l’industrie des biens de grande consommation. Ce mode de rapprochement montre la capacité d’une enseigne comme E. Leclerc de concilier les exigences de croissance (effets de volume et partage de ressources), le développement à l’international (complémentarités géographiques) avec le respect des identités (fédération de commerçants indépendants) dans le cadre de systèmes coopératifs décentralisés.
Conclusion
Pour aller plus loin
Martinez J-L, La fin des hypermarchés ?, Editions La charte, 2018.
Meier O., Diagnostic stratégique, 5ème éd., Dunod, 2018.
Meier O., Les stratégies de croissance, Dunod, 2009.
Meier O., Schier G., Les entreprises multinationales, Dunod, 2005.